vendredi 13 novembre 2009

Dr. Jekyll et Mr. Hyde: le chercheur et l’expert

 
 

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via Pris(m)e de Tête de natalie le 12/11/09

Par Marine Soichot

Avant de prendre une décision, mieux vaut peser le pour et le contre, surtout si l'on est un juge, le maire d'une ville, le directeur d'une usine pharmaceutique, autrement, dit si la décision que l'on s'apprête à prendre peut avoir des répercussions significatives. Mais parfois, c'est « ptêt ben qu'oui, ptêt ben qu'non » ! Dès lors, comment faire ? Réponse infaillible : on commande une expertise, on verra en fonction. Sage décision (si l'expert choisi est étranger aux intérêts en jeu) : mieux vaut réfléchir avant d'agir. Mais l'expertise n'est peut-être pas si neutre et objective que cela.

Pour tenter de définir ce qu'est l'expertise, on peut dire que cette activité se situe à l'intersection de la connaissance et de la prise de décision. Prenons un exemple : vous êtes le maire d'une petite ville où est installée une usine de peinture. Depuis quelques temps, on observe des changements dans le cycle de reproduction des poissons de la rivière voisine. Les associations de riverains pointent du doigt l'usine de peinture mais la direction de celle-ci assure que seuls des produits non toxiques sont utilisés. Vous décidez de commanditer une expertise indépendante pour trancher. Pour cela vous allez trouver un spécialiste en ichtyologie et lui posez la question suivante : qu'est-ce qui cloche chez les poissons ? Est-ce que c'est dû à l'usine ? Cette question est le point de départ de l'expertise mais, pour y répondre, le scientifique sollicité devra quitter son costume de chercheur pour celui d'expert. En effet, faire de la recherche et produire une expertise, ce n'est pas la même chose !

Du rôle de chercheur à celui d'expert

Premièrement, dans un processus de recherche, le scientifique choisit son objet d'étude et formule par des hypothèses les questions auxquelles il souhaite répondre. Lors d'une expertise, il ne choisit pas la question qui lui est posée. Deuxièmement, alors que la recherche déconstruit et fractionne ses objets, l'expertise procède à leur reconstruction. Abstraction dans le premier cas, concrétisation dans le second. Prenons l'objet « poissons ». La recherche sur les poissons se subdivise en génétique des poissons, respiration des poissons, nutrition des poissons, dynamique des populations de poissons et que sais-je encore. Pour le chercheur, l'objet « poissons » est ainsi fractionné en une infinité de sujets d'étude. L'expert, par contre, devra rassembler nombre de ces aspects afin de reconstruire l'objet « poissons » et répondre à la question posée à propos de l'usine de peinture. En fin de compte, à travers cette reconstruction, c'est tout un orchestre de disciplines scientifiques qui est mobilisé. Le défi de l'expertise sera de rassembler divers spécialistes que le monde académique a séparés. Sans cela, elle sera forcément incomplète et négligera certains points. Le spécialiste de l'écologie des poissons, pour reprendre notre exemple, aura des difficultés quand il s'agira d'examiner les processus de fabrication des peintures et d'identifier les produits potentiellement délétères. Il devra travailler avec un chimiste compétent dans ce domaine.

L'expertise, une tâche qui dépasse le scientifique ?

En définitive, face à une instance, ici politique, qui lui pose une question, le scientifique n'a pas de réponse qui soit l'expression directe de son savoir. Même après un effort de concrétisation et de synthèse disciplinaire, l'expert formule, dans le langage de la science, une réponse qui transgresse les limites de son savoir scientifique. Il produit une connaissance aussi objective que possible, qui deviendra expertise une fois intégrée au processus de décision, mais qui n'est pas une connaissance scientifique répondant aux canons de la recherche (pas de validation par les pairs, par exemple). Parce que les experts mobilisés n'ont pas recours aux mêmes savoirs et ne procèdent pas à la même reconstruction de l'objet, parce que l'expert  fonctionne toujours « comme l'avocat d'une certaine cause » (Philippe Roqueplo, 1997), les résultats de deux expertises peuvent se contredire. Bien qu'ils s'y mêlent forcément, les conflits entre experts se situent au-delà de la controverse scientifique car ils touchent aux enjeux de la décision. Il est donc parfois nécessaire de mettre en place des procédures d'évaluation et de confrontation des expertises afin de contrôler leur fiabilité.


 
 

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