Envoyé par io2a via Google Reader :
Le plus européen n'est pas forcément celui qu'on croit.
Depuis la mise en œuvre de la stratégie de Lisbonne, la réponse aux « grands défis sociétaux », qui implique une réorientation de la recherche à quelques thèmes prioritaires, est l'un des axes principaux de la politique européenne en matière de recherche. « An ERA driven by societal needs to adress the Grand Challenges » tel est par exemple le second « pilier » de l'Espace Européen de Recherche (ERA dans son acronyme anglais) défini par un rapport récemment publié par le European Research Board. Ses objectifs chiffrés sont résumés par cet encart :
- ERA : Grand Challenges
C'est précisément le programme que le Royaume-Uni, réputé rétif aux incitations venues de Bruxelles, entend appliquer de façon radicale.
Le Higher Education Funding Council for England (HFCE) britannique a en effet publié en septembre 2009 des propositions qui bouleversent à partir de 2010 (année pilote) les critères d'évaluation et de financement de la recherche. Dans le futur Research Excellence Framework (REF), qui remplace le traditionnel Research Assessment Exercise, le rôle de l'évaluation bibliométrique très contesté par les chercheurs britanniques (Research Counccils reject new assessment system) se trouve considérablement accru (quoique dans des proportions moindres que dans le projet initial). Mais surtout il est prévu de faire très largement (à hauteur de 25%) intervenir le critère des impacts économiques et sociaux de la recherche. Les institutions de recherche devront présenter des études de cas détaillant les bénéfices économiques et sociaux de leur recherche passée ainsi que des rapports sur leur degré de collaboration avec les « utilisateurs de la recherche » dont l'industrie (voir Nature et The Guardian ).
Ces propositions (verdict définitif mi-décembre 2009 après clôture de la consultation) suscitent une très forte hostilité de la communauté scientifique britannique. La Directrice Générale du Russel Group qui rassemble les 20 universités d'élite du Royaume-Uni, a souligné que les liens entre recherche et impact économique et social ne sont « pas immédiats ». Selon le directeur du Higher Education Policy Institute (think tank basé à Oxford) le quota de 25% n'est « pas raisonnable » (Nature 23 septembre 2009). Plus largement les scientifiques soulignent la menace que fait planer ce système sur l'excellence de la recherche britannique. Parmi les premiers signataires de la pétition lancée à ce sujet figurent des lauréats du prix Nobel : Sir John Walker (1997), Harry Kroto (1996) and Venki Ramakrishnan (2009). Celui-ci déclare dans une interview « Big benefits come from basic research in an unexpected way so we must value knowledge for its own sake ». You cannot easily pick winners. »
Et les réactions se sont multipliées dans la presse :
- Pointless studies are the key to evolution
- Impact on humanities : Researchers must take a Stand now or be judged and rewarded as salesmen
- Science, we have a problem accompagné de la vidéo d'un débat entre des scientifiques et un représentant du gouvernement
Les instances européennes répondent souvent aux critiques adressées à leur politique en matière d'enseignement supérieur et de recherche en invoquant la responsabilité des gouvernements nationaux. C'était par exemple la réaction du responsable européen Peter van der Hijden devant la large et spectaculaire contestation par les étudiants espagnols du processus de Bologne (La Vanguardia ). Et il est probable que les orientations britanniques en matière de recherche guidée par des bénéfices économiques et sociaux immédiats n'ont guère besoin des encouragements européens et se gardent de les revendiquer. Dans d'autres pays (en France par exemple)., c'est au contraire l'inscription dans une orientation européenne qui sert de justification aux transformations en cours. Quant à l'Italie il y a coïncidence opportune entre une politique nationale peu favorable au Sud et un financement des universités « au mérite » qui attribue deux des trois premières places à des institutions de recherche appliquée situées dans le Nord.
Cette conformité, tantôt tue tantôt revendiquée, des dispositif nationaux et des impulsions en provenance de Bruxelles est inscrite dans la nature même du processus de Lisbonne qui esquive les contraintes d'une législation européenne au profit d'un processus intergouvernemental indexé sur des comparaisons permanentes entre pays (procédé dit du « benchmarking »). Les sociétés au nom desquelles sont mises en œuvre ces politiques de recherche fondées sur quelques « grands défis sociétaux » en dépit de la logique réelle régissant la découverte scientifique et ses retombées, n'ont probablement rien à y gagner. L'Europe et la science non plus.
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